Dans son ouvrage L’État de l’Afrique 2024, le géopolitologue Maurice Simo Djom décrypte les événements marquants de l’année 2023 au Sahel et dénonce le rôle controversé du philosophe Achille Mbembe. Entre les bouleversements géopolitiques sahéliens et l’analyse des dynamiques d’influence française, il propose une lecture critique des enjeux d’autonomie africaine face à l’hégémonie occidentale.
L’année 2023 a marqué un tournant décisif dans l’histoire récente du Sahel. À travers un volumineux dossier intitulé « La bataille de Niamey », Maurice Simo Djom examine les dynamiques politiques, militaires et diplomatiques qui ont bouleversé cette région stratégique de l’Afrique. Le coup d’État du 26 juillet au Niger constitue le point d’entrée de son analyse. Ce soulèvement militaire a provoqué une série de répercussions, notamment sur le mix énergétique français, historiquement dépendant de l’uranium nigérien. Face à l’effondrement de ce dispositif, la France s’est retrouvée contrainte de chercher d’urgence des alternatives moins avantageuses, illustrant l’érosion de son influence dans cette région.
Dans ce contexte, la prise de Kidal au Mali, orchestrée par le président de transition Assimi Goïta, est perçue comme un autre symbole de la défaite stratégique française. Après neuf ans de présence, les forces françaises n’ont jamais pu reprendre cette ville aux rebelles du CSP. En revanche, les Forces armées maliennes (FAMa), soutenues par des supplétifs russes, ont accompli cette mission en seulement cinq jours.
Le départ des troupes françaises : un camouflet historique
Autre fait marquant : l’expulsion des forces françaises du Niger, un événement que l’auteur qualifie d’humiliation pour Paris. Après un bras de fer avec les militaires nigériens au pouvoir, l’armée française a quitté le pays, mettant fin à des décennies d’influence. Maurice Simo Djom voit dans ce retrait une étape clé de ce qu’il appelle « la deuxième décolonisation du Sahel ». Ce repli s’inscrit dans une série de revers pour la France, déjà refoulée du Mali et du Burkina Faso. Maurice Simo Djom prédit même que le Tchad pourrait bientôt rejoindre cette dynamique révolutionnaire, accélérant la fin du paradigme néocolonial français dans la région.
AES : l’émergence d’une nouvelle dynamique régionale
L’année 2023 a également vu la naissance de l’Alliance des États du Sahel (AES), regroupant le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Cette coalition, axée sur la souveraineté et la lutte contre le terrorisme, signe la mort du G5 Sahel et affaiblit considérablement la CEDEAO, perçue comme un outil d’influence de l’Occident.
Pour Maurice Simo Djom, l’AES incarne une réponse directe à des décennies de domination étrangère. En misant sur l’autonomie régionale et la diversification des partenariats, elle cristallise l’ambition d’une Afrique multipolaire, libérée des chaînes du néocolonialisme.
Achille Mbembe : un intellectuel sous le feu des critiques
Dans ce contexte de bouleversements, le philosophe camerounais Achille Mbembe est présenté par Maurice Simo Djom comme un « protagoniste du néo-paternalisme ». L’auteur accuse Mbembe de défendre une vision qui perpétue l’hégémonie occidentale sur l’Afrique, en opposition aux aspirations d’émancipation des jeunesses africaines.
S’appuyant sur les écrits de Mbembe, notamment Pour un monde en commun, Maurice Simo Djom dénonce une pensée qu’il qualifie de « racisme scientifique » et de « trahison intellectuelle ». Il critique l’idée selon laquelle l’Afrique aurait besoin de l’éducation occidentale pour s’éveiller. Selon lui, cette posture reflète un mépris latent pour les capacités des Africains à définir eux-mêmes leur avenir.
Mbembe est également pointé du doigt pour son rôle dans la « diplomatie d’influence » française. À travers son implication dans des initiatives soutenues par l’Élysée, comme une fondation pour la démocratie en Afrique, il est accusé de mobiliser un réseau d’intellectuels et de journalistes pour freiner les aspirations souverainistes du continent.
Une guerre d’influence à l’ère du multipolaire
Au-delà de la critique d’Achille Mbembe, Maurice Simo Djom analyse la bataille géopolitique entre puissances dans un contexte de montée du multipolarisme. Il estime que la France a perdu la « bataille de Niamey » au Sahel, mais poursuit une guerre d’influence plus large. Les tactiques d’intimidation militaire, les campagnes de propagande et les alliances économiques sont autant de moyens déployés pour préserver les intérêts occidentaux dans la région. Face à cela, Maurice Simo Djom voit l’émergence de pôles alternatifs, notamment russes et chinois, comme un contrepoids essentiel à l’hégémonie euro-américaine.
Vers une nouvelle ère pour l’Afrique
Pour conclure, Maurice Simo Djom esquisse un tableau d’espoir pour l’Afrique. Les événements de 2023 au Sahel, loin d’être des péripéties isolées, traduisent une volonté collective de redéfinir les relations internationales du continent. Loin de se limiter à une opposition à l’Occident, cette dynamique aspire à bâtir une Afrique souveraine, multipolaire et autonome.
Cependant, cette quête reste semée d’embûches. Entre les ingérences étrangères et les divisions internes, l’Afrique devra surmonter de nombreux défis pour concrétiser cette vision. Dans cette lutte, l’auteur appelle à la vigilance face aux voix qui, comme celle d’Achille Mbembe, chercheraient à perpétuer un ordre néocolonial sous de nouveaux habits.
Alors que l’année 2024 s’ouvre sous le signe de ces transformations profondes, L’État de l’Afrique de Maurice Simo Djom offre une lecture précieuse des enjeux contemporains. En dressant un portrait sans concession des acteurs et des dynamiques en jeu, il invite à une réflexion urgente sur l’avenir de l’Afrique dans un monde en mutation.