Dans son ouvrage L’État de l’Afrique 2024, Maurice Simo Djom explore le concept de « châtiment géopolitique » à travers le cas d’Haïti, première république noire de l’Histoire. L’auteur met en lumière deux siècles d’injustices internationales et interroge les implications pour les pays africains contemporains. Une analyse qui mêle histoire, géopolitique et espoir d’une renaissance multipolaire.
Dans L’État de l’Afrique 2024, Maurice Simo Djom dépasse le cadre géographique de l’Afrique pour aborder les liens profonds qui unissent le continent africain à Haïti, symbole de liberté et de résilience. Ce choix illustre une vision panafricaine où la solidarité transcende les frontières physiques pour embrasser les imaginaires et les luttes communes. Haïti, bien qu’éloignée de plus de 6000 kilomètres des côtes africaines, est perçue par l’auteur comme une extension métaphysique de l’Afrique, un « nombril du ventre » de sa dignité bafouée.
Haïti : symbole de bravoure et cible de répression
L’indépendance d’Haïti en 1804 marque un tournant historique : pour la première fois, des esclaves se libèrent du joug colonial par une victoire militaire décisive. Des figures comme Toussaint Louverture et Capois-la-Mort incarnent cet héroïsme. Cependant, cette bravoure s’accompagne d’un lourd tribut : deux siècles de ce que Djom qualifie de « châtiment géopolitique ». La France, humiliée par la défaite, impose une indemnité exorbitante pour reconnaître l’indépendance d’Haïti, consolidant ainsi une double peine : la rançon de 560 millions de dollars (valeur actualisée) a plongé la jeune république dans un cycle d’endettement asphyxiant. Djom cite une enquête du New York Times qui évalue le manque à gagner économique pour Haïti à 21 milliards de dollars.
Les États-Unis, relais d’une domination implacable
Le XXᵉ siècle voit les États-Unis succéder à la France dans la soumission d’Haïti. Washington orchestre une série d’interventions directes, dont le vol des réserves d’or haïtiennes en 1914, la manipulation électorale, et l’organisation de coups d’État. À travers le Core Group, composé notamment de l’Union européenne, du Canada et de l’ONU, cette domination persiste aujourd’hui sous des formes déguisées. Djom qualifie ce processus de « macoutisation internationale », en référence à la brutalité des milices sous la dictature haïtienne.
Haïti et l’Afrique : une proximité sentimentale, mais une distance politique
Malgré une proximité symbolique et historique, Haïti reste éloignée des dynamiques continentales africaines. L’échec de sa demande d’adhésion à l’Union africaine en 2012, sous la présidence de Michel Martelly, illustre cette « distance géopolitique ». Djom y voit un échec de l’idéal panafricain, incapable d’intégrer la « fille aînée » de l’Afrique dans ses projets. Pourtant, l’auteur salue l’intervention récente du Kenya à la tête d’une force multinationale en Haïti, mandatée par la résolution 2699 du Conseil de sécurité des Nations unies en 2023. Cette initiative africaine, bien que financée par les États-Unis et le Core Group, représente un pas vers une solidarité transcontinentale renouvelée.
Haïti et la Libye : des destins croisés
Maurice Simo Djom établit un parallèle entre le sort d’Haïti et celui de la Libye sous Mouammar Kadhafi. Tous deux victimes de leur volonté d’émancipation, ces nations ont été ciblées par des puissances occidentales. Djom rappelle que la chute de Kadhafi, orchestrée notamment par la France de Nicolas Sarkozy, s’inscrit dans la même logique de punition géopolitique. Les révélations des emails de Hillary Clinton confirment l’implication des services secrets français dans la déstabilisation du régime libyen.
Une prospective multipolaire
Face à ce sombre tableau, Djom exprime une lueur d’espoir. Il voit dans l’émergence de pôles alternatifs à l’Occident une opportunité pour briser la logique du châtiment géopolitique. Les cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger, qui ont récemment rompu leurs accords de défense avec la France, illustrent une résistance croissante à l’hégémonie occidentale. Cependant, ces pays pourraient à leur tour devenir des cibles, à moins que le nouvel ordre mondial multipolaire ne s’affirme pleinement.
En explorant les racines historiques et les ramifications contemporaines du « châtiment géopolitique », L’État de l’Afrique 2024 invite à une réflexion profonde sur les relations internationales. Pour Maurice Simo Djom, Haïti incarne une leçon universelle de résistance et un appel à la solidarité africaine. Car, au-delà de la géopolitique, Haïti représente la capacité de l’Afrique à se relever et à reprendre en main son destin dans un monde en transformation.