Le phénomène de créances impayées par des Camerounais ayant quitté le pays pour l’étranger prend de l’ampleur. Environ cinq milliards de FCFA sont en jeu, un manque à gagner lourd de conséquences pour le secteur bancaire national. Face à cette situation, des mesures de recouvrement sont déployées à l’international, s’appuyant notamment sur des collaborations diplomatiques et des sanctions sur l’historique de crédit des débiteurs.
De nombreux Camerounais, avant de quitter le pays, contractent des prêts auprès des banques locales en promettant de les investir sur place. Mais pour beaucoup, ces fonds servent finalement à financer leur départ et leur installation à l’étranger, en particulier en Amérique du Nord. Selon Rodrigue Soffo, responsable du cabinet RS Intelligence & Lobbying, qui travaille avec les banques camerounaises pour recouvrer ces dettes, « l’un des premiers problèmes, c’est que les emprunteurs détournent l’usage de leur crédit, destiné à l’équipement ou à la construction d’immeubles, pour financer leur projet d’immigration ». Ces crédits, initialement garantis par des revenus salariaux, se retrouvent impayés, les emprunteurs ayant rapidement cessé de travailler avant de partir.
Les créances impayées représentent aujourd’hui environ 40 % du total des créances en souffrance dans le secteur bancaire camerounais, soit près de cinq milliards de FCFA, d’après Soffo. Les banques se retrouvent confrontées à une perte financière considérable, qui impacte directement leur bilan. Ce phénomène, en croissance depuis plusieurs années, est désormais surveillé de près, et certaines banques, notamment Afriland First Bank, tentent des approches plus coopératives pour inciter les débiteurs à régulariser leur situation.
Face à la difficulté d’atteindre ces débiteurs, RS Intelligence & Lobbying a mis en place des stratégies de recouvrement en collaboration avec les autorités camerounaises et les pays de résidence des débiteurs. L’objectif est de retrouver ces derniers et de leur faire comprendre que leurs dettes impayées au Cameroun pourraient affecter leur vie à l’étranger. En Amérique du Nord, par exemple, l’usage d’une carte de crédit est essentiel, et des mécanismes sont en cours pour que l’historique de crédit au Cameroun ait un impact sur celui de ces individus dans leur pays d’accueil.
En plus, un cadre de collaboration avec Interpol pourrait être mis en place pour poursuivre les débiteurs au-delà des frontières nationales, dans les cas où ils refusent de coopérer malgré des tentatives de conciliation. « Notre première approche a été de proposer des échéanciers de remboursement avec des comptes bancaires ouverts aux États-Unis et au Canada pour faciliter les paiements », explique Soffo. Cependant, certains préfèrent rester injoignables, espérant échapper aux obligations bancaires camerounaises.
L’exode de Camerounais qualifiés a également des répercussions sur les entreprises locales. Les employeurs se retrouvent parfois à supporter des dettes laissées par des salariés démissionnaires, ce qui complique l’accès au crédit pour les autres employés. Célestin Tawamba, président du Groupement des Entreprises du Cameroun (Gecam), met en garde contre cette situation : « Certaines entreprises se retrouvent à supporter les dettes internes laissées par ces travailleurs démissionnaires, ce qui impacte l’accès au crédit pour les employés restants. » Le départ massif des compétences aggrave la fuite des talents pour des postes spécialisés, laissant un vide dans le tissu économique camerounais.
Le recours aux assurances-crédit, qui indemnisent les banques en cas de défaillance des emprunteurs, a des limites, souligne Soffo. « Lorsque des cadres bien établis empruntent de manière régulière, personne n’imagine qu’ils pourraient décider de tout abandonner pour immigrer », explique-t-il. Ce risque lié à l’immigration volontaire et planifiée n’était jusqu’à présent pas couvert par ces assurances.
Certaines discussions avec des débiteurs ont permis des solutions amiables, notamment des propositions d’hypothèques et des remboursements effectués par des membres de leur famille restée au Cameroun. Les autorités espèrent que davantage de débiteurs se manifesteront pour régulariser leur situation, évitant ainsi des mesures plus contraignantes.