Quand les prêts clandestins ruinent les pauvres citoyens

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Appelés usure, sous d’autres cieux, les prêts clandestins sont pratiqués à des taux d’intérêts ahurissants. Enquête sur un phénomène interdit, mais qui est aussi florissant.

Le Soleil est au Zenith, en ce mois d’avril. Dans les artères du quartier Etam Bafia, un bidonville de la ville de Yaoundé. La route nouvellement goudronnée a changé l’allure du quartier, mais les mentalités ne sont pas sorties de l’ornière. Dans cette maisonnée où les jeunes du quartier se regroupent à longueur de journée pour passer en revue l’actualité, un autre business tout aussi florissant se gère dans le strict secret. Comme dans les maisons secrètes. « Nul n’entre ici, s’il n’est géomètre ». Il faut donc avoir été recommandé par un client de la maison pour pouvoir bénéficier d’un prêt usuraire auprès de Clémentine la tenancière des lieux.

Pour monter son entreprise, Clémentine 33 ans a eu besoin d’un montant de 2 millions de FCFA. « J’ai lancé mon activité avec deux millions aujourd’hui, j’ai pu développer d’autres affaires et j’ai construit ma maison », se dit-elle fière. Si en moins de 5 ans, celle qui se fait appeler Argentière par ses créanciers a créé un business aussi florissant, c’est qu’elle pratique des taux d’intérêts à outrance et exige des fortes garanties avant de prêter de son argent. « Je fais des prêts à des taux d’intérêts de 30% par mois. C’est-à-dire tu empruntes 100 000 FCFA. Tu rembourses 130 000 FCFA après un mois. Et à partir du deuxième mois un autre intérêt de 30% s’ajoute, ainsi de suite. Et pour donner un prêt de 100 000 FCFA, la personne doit me ramener une garantie dont la valeur au moment du prêt est d’au moins 200 000 FCFA, c’est-à-dire que la garantie doit avoir une valeur double au prêt à contracter », explique-t-elle. « Je prends comme garanties, des terrains titrés, des véhicules, des maisons, des biens meubles », ajoute-t-elle.

L’engrenage des intérêts

Flore est une assistante sociale dans un hôpital de Yaoundé la capitale politique du Cameroun. Ainée d’une famille, elle doit subvenir aux besoins de ses jeunes frères et sœurs. Lors de la rentrée de septembre 2021, elle a laissé son terrain en gage auprès de Clémentine pour un prêt de 2 500 000 (deux millions cinq cent mille) FCFA. D’une superficie de 500 mètres carrés, son terrain avait une valeur de 7. 500 000 (sept millions cinq cent mille) FCFA au moment où elle contractait la dette. A un taux d’intérêts de 30% Flore devait rembourser 3 250 000 (trois millions deux cent cinquante mille) FCFA ; un mois plus tard. Elle comptait ainsi vendre cette parcelle et se débarrasser de son créancier. Mais c’était mal connaitre les difficultés liées à la vente de terrain. Car un an plus tard Flore n’avait pas encore pu vendre son terrain et les taux d’intérêts cumulés s’élevaient déjà 9 000 000 (Neufs millions) FCFA, ajoutés à la dette elle-même, Flore devait payer la rondelette somme de 11 500 000 (onze millions cinq cent mille). C’est ainsi qu’elle a perdu son terrain et s’est encore vue remettre de l’argent en espèce à sa créancière.

Spirale d’entement

Près de 5 ans après être sortie de cette spirale d’endettement, Alain garde encore de très mauvais souvenirs. En 2017, sa femme enceinte doit subir une césarienne à la dernière minute. La facture de l’hôpital s’élève à un peu plus de 500 000 FCFA. Alain n’a d’autres choix que d’aller laisser sa Mercedes en gage pour un prêt de 1 millions de CFA. Son créancier, un certain Melvin au quartier Tamtam à Yaoundé.

La tâche sera d’ailleurs très facile pour Alain, car son créancier va lui donner de l’argent avant toute autre procédure usuelle. Mais c’était sans connaitre qu’il se nouait la gorge. Au bout de 6 mois, harcelé par son créancier qui commence à s’immiscer dans sa vie privée avec des arrivées inopinées à son domicile et des appels à des heures indues, Alain n’avait toujours pas payé sa dette et les intérêts seuls s’élevaient déjà à 3 600 000 (trois millions six cent mille). Alain va alors proposer à son créancier de lui remettre sa carte bancaire afin que ce dernier puisse retenir son salaire qui couvre à peine le taux d’intérêt mensuel. Au bout de deux mois, constatant qu’il n’a plus de vie, car ne pouvant plus payer ses factures, Alain va vendre un lopin de terre du côté de Nkolbisson pour se débarrasser de son créancier devenu très gênant à son gout.

Avant de payer cette dette, Alain raconte des journées entières qu’il passait au bureau à réfléchir, « comment puis-je faire pour payer cette dette »n se demandait-il. Plusieurs fois, il a du se murer dans sa chambre pour ne pas rencontrer ce créancier qui atterrissait chez lui sans avertir.

Une pratique interdite

Selon l’Article 325 du Code pénal Camerounais, «est puni d’une amende de cinq ‘mille (5 000) à un million (1 000 000) de francs, le prêteur qui exige ou reçoit des intérêts ou autres rétributions supérieures aux taux fixés par la loi, pour des prêts de même nature ». « En cas de récidive, la peine est un emprisonnement de quinze (15) jours à un (01) an et l’amende est doublée ». Malgré la pénalisation de de délit, les poursuites sont quasiment inexistantes. « Je n’ai jamais reçu une plainte où un justiciable dénonce un usurier », affirme un commissaire Police.

D’ailleurs les experts affirment que même s’il y a des plaintes, cela ne saurait résoudre le problème, car « des gens ont des problèmes d’argent chaque jour. Tu ne vas donc pas demander à ceux qui ont besoin d’argent d’aller se plaindre. Plutôt que de leur demander de porter plainte, il faut les aider à avoir accès à de l’argent par d’autres moyens », affirment un expert financier.

Notre expert estime que l’une des solutions serait de faciliter l’accès au crédit bancaire chez le citoyen lambda. « Seul l’accès au crédit bancaire pourrait atténuer la ruée vers les circuits parallèles de financement », indique-t-il

Joseph Essama

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