En raison de l’absence d’un système d’adressage fiable, le Cameroun, pays au potentiel touristique remarquable (environ un million de touristes annuels), laisse échapper des revenus fiscaux considérables.
Selon l’INS, rien qu’en 2018, le Cameroun a enregistré 2 142 425 arrivées dans les établissements d’hébergement pour un total de 4 006 973 nuitées. En supposant une taxe de séjour estimée à 2500 FCFA par nuitée, le potentiel fiscal non exploité aurait atteint 10 017 432 500 FCFA. En estimant que chaque visiteur est resté en moyenne 1,8 jours dans un hôtel en 2018, cette donnée porte à 18 031 378 500 le potentiel fiscal non exploité. Une somme précieuse dans un contexte économique où le pays peine à boucler son budget sous la pression du FMI pour élargir l’assiette fiscale. En outre, l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) de 15% et les taxes applicables aux établissements hôteliers dont l’impôt sur les revenus locatifs ne sont pas perçus par l’Etat, entraînant une perte annuelle estimée à 60 milliards de FCFA selon les estimations d’une startup d’adressage en collaboration avec le Cabinet Kilimandjaro.
Un système d’adressage désuet freine le contrôle fiscal
A en croire des estimations confirmées par le data Lab’ de Kilimandjaro, un cabinet conseil en études de marché, les autorités camerounaises, notamment la Direction Générale des Impôts (DGI), peinent à suivre les revenus générés par les locations de courte et longue durée proposées sur des plateformes numériques telles qu’Airbnb, Booking ou Expedia. Le Cameroun souffre d’un système d’adressage obsolète : dans de nombreuses villes, les rues et quartiers sont sans nom, les numéros de maison sont souvent inexistants, et les codes postaux absents, rendant l’identification des habitations impossible. Cette situation empêche l’administration fiscale de suivre les revenus issus de ces activités. Le pays n’exploite pas pleinement l’opportunité de collecter les taxes de séjour sur les locations meublées proposées via ces plateformes. Fixée de 0 à 5000 FCFA par jour et par personne (variable en fonction du nombre d’étoiles des établissements), cette taxe échappe au contrôle de la DGI, faute de localisation précise des logements concernés.
La DGI à la recherche de solutions
Conformément à l’article 92 ter du Code général des impôts, les plateformes numériques (Airbnb, Booking, etc.) sont censées collecter et reverser les taxes dues. Cependant, contrairement au modèle français, ces plateformes contribuent à l’évasion fiscale au Cameroun. La DGI est consciente de ce manque à gagner et de l’urgence d’y remédier. Mme FOSSO TCHUANKAM Rose Claire Armelle Martine Epse Mbamfon, inspectrice principale des impôts et chef du Centre Régional des Impôts du Centre Extérieur (CRIC EXT), souligne : « L’absence d’un système d’adressage fiable complique notre tâche. Les plateformes comme Airbnb et Booking ne fournissent pas les informations nécessaires pour identifier les contribuables, ce qui rend difficile la perception des taxes sur les locations meublées. Nous devons trouver des solutions pour capter ces recettes fiscales ».
Depuis mai 2024, des actions menées par le CRIC EXT, sous la coordination de Mme Mbamfon, visent à sensibiliser et accompagner les contribuables du secteur, avec des résultats encourageants, mais une action à grande échelle est nécessaire.
A l’école du modèle français pour un meilleure collecte fiscale ?
En France, des mesures sont en place pour garantir le contrôle des revenus locatifs générés par ces plateformes. Airbnb, par exemple, est tenu de collecter la taxe de séjour lors de la réservation et de transmettre des rapports sur les hôtes et les adresses des biens loués. En 2023, cette stratégie a permis à la France de collecter 122 milliards de FCFA en taxes de séjour et 386 milliards de FCFA en impôts sur les revenus locatifs, pour un total de 508 milliards de FCFA de recettes provenant des locations en ligne. Un modèle similaire au Cameroun permettrait de renforcer l’assiette fiscale.
Une modernisation urgente pour capter ces revenus
Il est impératif pour le Cameroun de moderniser son système d’adressage et d’adopter des politiques obligeant les plateformes à collecter les taxes locales. En intégrant des solutions numériques, comme d’autres pays l’ont fait, et en établissant un partenariat avec ces plateformes, l’État pourrait capter ces revenus importants pour le développement du pays. Sans de telles réformes, le Cameroun continuera de perdre chaque année une manne financière essentielle, nécessaire au financement de ses infrastructures et de ses services publics.