Exploitation forestière – Entre évasion fiscale et traite humaine, la mafia vietnamienne sévit à Abong-Mbang et Bertoua

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Corruption, sexe, exploitation illégale, non-respect des aires protégées, opérations de blanchiment, évasion fiscale ; les qualificatifs ne sauraient manquer pour décrire l’attitude des scieries vietnamiennes dans la région de l’Est Cameroun.

Un esclavage à ciel ouvert

Combien de personnes employez-vous ici ? Xuan Hanh : Dans cette scierie, nous avons quatre employés administratifs, 15 à 16 scieurs vietnamiens, et 50 à 60 ouvriers Noirs qui les aident. Dépensez-vous beaucoup d’argent pour la rémunération de vos ouvriers noirs ? Xuan Hanh : Non, les Noirs sont bon marché, environ 100 000 dongs vietnamiens [4,3 dollars US] par jour, sans compter la nourriture. Ça fait environ 2 500 CFA par jour. Trouvez-vous cela très bon marché ? Xuan Hanh : Mais c’est suffisant, parce qu’en réalité, ils sont vraiment très stupides. Ce sont de vrais idiots. Ce sont des imbéciles, des affamés.

Ces mots d’un responsable de la scierie Hai Duong opérant dans la région de l’Est Cameroun expriment à quel point les employés camerounais sont persécutés. C’est le reflet d’une traite humaine encadrée sans mot dire par des élus politiques, locaux et judiciaires qui profitent de l’exploitation illégale de nos forêts par des étrangers, commente un employé camerounais de la scierie Hai Duong qui a requis l’anonymat par peur de représailles.

D’ailleurs, une enquête de terrain a rapporté que, les scieries sont exploitées en violation du Code du Travail camerounais. À ce titre, les enquêteurs constatent une absence de contrats de travail à court ou à long terme pour les employés camerounais tel que stipule l’article 23 du Code du Travail. De plus, de nombreux salariés camerounais travaillant dans ces sociétés vietnamiennes ne disposent pas de bulletins de paie mensuels ; une violation flagrante de l’article 61 du Code du Travail.

À côté de ces multiples humiliations, l’argent et le sexe constituent d’autres armes de représailles à chaque dénonciation du pillage des forêts et des activités illégales exercées dans les forêts communales du département du Haut-Nyong. À la manœuvre, des magistrats comme le souligne un rapport produit par l’Initiative Internationale pour le Climat et la Forêt de la Norvège (NICFI), la fondation Good Energies et le Fonds Tilia. Des ONG qui ont mis à nu les pratiques mafieuses des scieries et des opérateurs forestiers vietnamiens au Cameroun.

L’administration camerounaise : complice et victime

Impliqué dans une affaire similaire à Douala, puis muté à Bertoua, l’actuel délégué régional des forêts et de la faune poursuit son action visant à spolier l’État du Cameroun des recettes forestière et faunique.

En effet, dénoncé par le rapport mentionné en amont, cet agent de l’État s’est déployé à nouveau dans la région de l’Est du pays, amenant avec lui les mêmes scieries vietnamiennes fermées autrefois du côté de Douala. Par son truchement, ces scieries en absence de tout document administratif et de forêts en exploitation, encouragent et financent sans titre l’exploitation des forêts par des opérateurs pirates locaux. « … Les forêts sont littéralement détruites. Ces Vietnamiens et leurs complices provoquent le chaos dans le secteur forestier du département du Haut-Nyong…les Warapeurs sont devenus tout puissant au point de menacer tous ceux qui tentent de faire respecter la légalité et de s’opposer au pillage des forêts » souligne au passage une autorité traditionnelle locale.

Alors que la chaîne semble se nourrir d’un laisser-aller entretenu par l’autorité de l’Etat ; le pays souffre d’un manque de collecte de recettes. Selon des données collectées, le commerce du bois entre le Cameroun et le Vietnam n’améliorent pas les recettes de l’État camerounais vu le caractère clandestin des transactions financières (transactions en espèces et des déclarations erronées). La preuve, en trois ans, les exportateurs du Cameroun n’ont déclaré que 308 millions de dollars US (plus de 186 milliards de Fcfa) de moins que les importateurs du Vietnam, ce qui décrit un commerce lucratif et un système de blanchiment bien huilé mis en place entre certains agents de l’Etat du Cameroun et les scieries vietnamiennes.

L’exploitation forestière, une corruption indescriptible

Selon des enquêtes menées dans le département du Haut-Nyong, la corruption dans le secteur forestier s’exprime à plusieurs échelons. « … Si vous voulez éviter les problèmes, versez 100 000 CFA de plus par mètre cube et ils vous laissent passer », confie un chauffeur grumier pour parler de l’exportation illégale de grumes surtout le cas des planches sur dimensionnées.

Alors que les pertes enregistrées par le Cameroun sont estimées à 420 millions de dollars US soit plus de 253 milliards de Fcfa, une enquête infiltrée au niveau des services douaniers, des eaux et forêts révèle que, « … Par exemple, si le prix du mètre cube de bois est de 10.000 FCFA, on déclare qu’il coûte 5.000 FCFA ou 3.000 FCFA. Le montant imposable sera donc inférieur. Autre aspect, un conteneur de 20 pieds fait 23 mètres cubes et on va déclarer qu’il fait 12 mètres cubes…. Il s’agit de la moitié… » Comme quoi « … Les Noirs du Gouvernement veulent aussi avoir de l’argent » commentent les entrepreneurs vietnamiens opérant au Cameroun.

Globalement, la région de l’Est Cameroun fait l’objet d’une déforestation sauvage de la part des scieries vietnamiennes ; un système qui bénéficie de l’aval de l’administration. À date, des sources introduites indiquent que des responsables des démembrements locaux du Ministère des Forêts sont tellement mouillés comme certains magistrats. Alors que le chemin de la légalité et de la bonne gouvernance semble difficile à retrouver, l’on apprend que 80% des grumes qui entrent dans les scieries vietnamiennes à Abong-Mbang et Bertoua sont illégales, ce qui explique le rapide tronçonnement de ces essences.

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