Alors que ce fléau prend de plus en plus de l’ampleur au Cameroun, Paul Biya, Président de la République a décrié cela lors de son adresse à la nation le 31 décembre 2023. Dans une interview exclusive accordée au quotidien bilingue Cameroon Tribune, Mounouna Foutsou décrypte et analyse le discours du Chef de l’Etat.
Dans son discours à la Nation le 31 décembre 2022, le Chef de l’Etat a décrié la montée en puissance de l’incivisme dans nos villes et campagnes. Comment réagissez-vous à cette interpellation ?
Je vous remercie pour l’opportunité que vous m’offrez pour évoquer une fois de plus la question de la montée de l’incivisme dans notre pays, une préoccupation constante et permanente du Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Paul BIYA, qui nous a une fois de plus interpellé dans son discours de fin d’année.
Cette interpellation est et reste fondée et nous conforte dans la mission du Gouvernement et la nôtre qui est de continuer la lutte contre les actes inciviques où qu’ils soient. Ces actes qui sont marqués par une dégradation chez de nombreux citoyens, du sens de l’Etat, des institutions républicaines et des hommes qui les incarnent, de l’engagement patriotique, de l’éthique et de la moralité, avec pour conséquence immédiate, la crise de l’esprit de tolérance, des atteintes diverses et constantes aux valeurs morales, aux droits de l’homme, à la démocratie et à la paix, ainsi que la dégradation de l’environnement urbain due à l’indiscipline généralisée, toutes choses qui hypothèquent les efforts constants de construction de la « République Exemplaire» qu’appelle de tous ses vœux le Chef de l’Etat, Son Excellence Monsieur Paul BIYA. Ce message est donc pour nous, une occasion de remobiliser nos équipes pour sensibiliser les jeunes et les populations en général dans la construction de cette République Exemplaire.
En termes de responsabilités des différents acteurs, qu’est-ce qui pourrait expliquer le développement de l’incivisme au Cameroun ?
En matière d’incivisme, les responsabilités sont partagées. On ne saurait donner une graduation des actes inciviques et je crois que c’est pourquoi le Chef de l’Etat a appelé à l’engagement de tous dans la lutte contre l’incivisme.
Toutefois, dans le cadre de l’élaboration du programme national d’éducation civique, le diagnostic établi, qui fonde l’analyse situationnelle, issue de l’observation du contexte camerounais, permet de procéder à une prise en compte des publics cibles, dans leur diversité (parents, apprenants, éducateurs ou acteurs à divers niveaux…). Ce diagnostic permet également d’analyser les impacts découlant des situations et des pratiques identifiées, ainsi que les limites de leur implémentation dans l’environnement national et, en fonction des domaines, des secteurs, des catégories sociales et des axes d’interventions. A cet égard, on peut en voir les manifestations, que ce soit en milieux scolaire, universitaire, extrascolaire et même socio-professionnel, à travers des actes de violences, de non-respect de la chose publique, du non-respect des institutions de l’Etat et de ceux qui l’incarnent, de la consommation des drogues, de la diffusion des discours haineux sur les réseaux sociaux, etc. Notre combat continue est donc de lutter contre ces actes qui ont la particularité de mettre en mal la cohésion sociale voire de compromettre la paix. Pour atteindre cet objectif, le civisme doit être l’affaire de tous et chacun doit être un gendarme du civisme dans son environnement immédiat.
Que fait le ministère de la Jeunesse et de l’Education Civique jusqu’ici pour ressourdre ce problème au sein notre société ?
Il faut dire que le Ministère de la Jeunesse et de l’Education Civique est toujours à pied d’œuvre pour l’éducation civique des populations. En effet, face à l’incivisme grandissant, et malgré les efforts consentis par diverses structures étatiques, le MINJEC dans rôle, a pensé qu’il était important, voire indispensable qu’une réponse, cette fois concertée et globale, soit formulée par tous, sans exception. C’est ainsi qu’en fin 2021, le Programme National d’Education Civique qui avait cours, a été révisé et validé par tous les partenaires sectoriels, donnant alors naissance au tout nouveau Programme National d’Education Civique par le Réarmement Moral, Civique et Entrepreneurial (PRONEC-REAMORCE) lancé officiellement en février 2022. Ce programme ambitionne ainsi de permettre à chaque citoyen, d’apprendre et/ou de réapprendre les civilités, le civisme, les valeurs fondamentales d’intégrité et de vivre ensemble dans une communauté nationale par essence plurielle et en pleine mutation. Dans le cadre de sa mise en œuvre le MINJEC, en collaboration avec les partenaires, mène des activités de sensibilisations tout au long de l’année, avec un accent particulier pendant certaines périodes, à savoir les fêtes officielles et journées commémoratives, les rentrées scolaires, universitaires, extrascolaires et de formation, les vacances scolaires, les fêtes de d’années, etc. A l’occasion, des caravanes de sensibilisation se déploient sur l’étendue du territoire national et constituent de véritables moments pédagogiques au cours desquels les équipes Mobiles d’Animation populaires Urbaines et Rurales (EMAPUR), accompagnés des Médiateurs Communautaires et des volontaires des associations et mouvements de jeunesse du CNJC, et les appelés du Service Civique National de Participation au développement, vont auprès des populations et des Jeunes en particulier. Nous organisons également des Matinées et Après-Midi Jeunesse ou des journées du REAMORCE dans les établissements scolaires et universitaires ainsi que des Carrefours de Vivre-Ensemble Camerounais (CVEC) dans les quartiers et les villages de nos communes, pour véhiculer le message du PRONEC-REAMORCE en matière de promotion des valeurs civiques, de la consolidation de la paix, de la cohésion sociale et du Vivre Ensemble, du volontariat, de la vie associative et de la participation des jeunes, ainsi que l’insertion socioéconomique des jeunes.
Etant donné que le phénomène persiste, quels autres leviers peut-on activer pour rectifier le tir ?
Je le répète, nous pensons avec le Chef de l’Etat que la solution au problème d’incivisme dans la société en général doit émaner de l’engagement de tous et à tous les niveaux. Comme on le sait l’Education d’un enfant ou d’un adulte commence dès le noyau Familial. Les parents doivent s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants, lorsque nous parlons de parents on ne parle pas que des géniteurs, on va au-delà de la cellule familiale, les leaders religieux, les enseignants doivent également pouvoir s’impliquer. Je ne manquerai pas de citer les jeunes eux-mêmes qui doivent se positionner comme des rôle-modèles pour leurs pairs qui sont poussés vers l’adoption de comportements inciviques. Il revient à chacun de réagir face à un acte incivique observé. Le CHEF DE L’ETAT, l’a encore si bien souligné lors de son adresse du 31 décembre dernier à la nation, dans lequel, il disait, je le cite « J’en appelle donc à la responsabilité de tous, en particulier les parents et les éducateurs, pour redonner une place aux valeurs morales de base et au respect de l’ordre public ».
C’est ce levier que nous avons activé dans le PRONEC-REAMORCE qui propose de nouvelles techniques d’encadrement pour des actions conjointes qui visent la promotion de la refonte de la moralité de base. Donc, nous verrons à l’évaluation s’il y a d’autres leviers pour « rectifier » ou « améliorer » le tir. Mais nous interpellons déjà toutes les instances du système social pour qu’elles prennent part ou s’impliquent activement à la mise en œuvre de cet important programme d’éducation civique basé sur le MINDSET EDUCATION ou éducation au changement de mentalité et dont l’objectif majeure est d’inculquer à chaque jeune camerounais le « FIGHTING SPIRIT », plus connu sous l’expression « HEMLE », et l’esprit d’équipe de nos lions indomptables, afin que chaque jeune soit un lion indomptable dans son domaine d’activités et au sein de sa communauté. Il est même envisagé de réamorcer régulièrement les jeunes élèves récalcitrants et récidivistes dans les établissements scolaires, extrascolaires, de formation et d’organiser des compétitions pour récompenser les jeunes qui auront présenté des exemples de comportement de l’excellence-Hemle dans les domaines tel que le civisme, le volontariat, l’entrepreneuriat …
L’incivisme se développe également sur les réseaux sociaux, quelles actions menez-vous pour sensibiliser à un usage responsable de ces outils ?
Ces dernières années les réseaux sociaux nous avons remarqué pour le décrier la montée des discours haineux et la diffusion à grande échelle des fakes News, qui sont des actes clairement inciviques. Face à ce problème le département Ministériel dont j’ai la charge a multiplié des campagnes de sensibilisation pour le civisme et l’utilisation responsable des réseaux sociaux. Nous pouvons citer ainsi la e-Campagne contre les discours de Haine sur les plateformes digitales et numériques dénommée « Appel au Civisme » qui se déroule tout au long de l’Année. A l’actif de cette campagne nous avons formé des pairs éducateurs et des jeunes sur tout le territoire national afin que ces derniers en retour puissent être des ambassadeurs du civisme auprès de leurs congénères. Ce sont ce que nous appelons les « Patriotes des réseaux sociaux ». En effet, la « e-campagne » est opérationnalisée à travers ces tuteurs formés pour se déployer dans les réseaux sociaux et sur toutes les plateformes dynamiques afin de recadrer et de conseiller les jeunes qui sont sujets à des contenus inciviques, violents, pervers et immoraux postés sur la toile par des « influenceurs négatifs ».
Cette intervention est fonction des thématiques proposées par les tuteurs du MINJEC qui portent sur des questions actuelles et préoccupantes de la société, afin de susciter des débats constructifs sur la toile et surtout d’apporter la bonne information en inculquant des valeurs qui portent sur l’utilisation responsable des réseaux sociaux.
Aussi, parlant d’influenceurs, au regard de l’ampleur de ce phénomène avec ceux qui publient des mauvais contenus, le MINJEC a mis sur pied un processus de désignation et d’implication des Ambassadeurs PRONEC-REAMORCE composés des personnalités, artistes et autres stars, ayant eu à s’identifier positivement dans la société. Leurs rôles consistent à être de modèles positifs pour les jeunes à travers des conseils et des échanges pour un meilleur accompagnement dans une citoyenneté active. Nous allons plus loin en orientant les jeunes vers une utilisation judicieuse des Réseaux Sociaux via notamment le Programme Youth Connekt Cameroon, qui permet d’interconnecter les jeunes entre eux mais aussi de les connecter aux rôles modèles et aux opportunités d’insertion socio-économique mis à leur disposition par les pouvoirs publics et les partenaires au développement.
Le Chef de l’Etat a également interpellé les parents et les éducateurs dans son discours. Quels est le niveau de collaboration entre le ministre de la Jeunesse et de l’Education Civique et des acteurs ?
Le niveau de collaboration est appréciable. Comme je l’ai dit plus haut, le Ministère de la Jeunesse et de l’Education Civique à travers ses structures déconcentrées et rattachées à des relations de proximité avec ces acteurs que sont les parents et les éducateurs. En effet, nous accompagnons ces partenaires de l’éducation à travers nos Equipes Mobiles Urbaines et Rurales (EMAPUR) qui sont à la fois des pairs éducateurs et nos soldats du Civisme sur le terrain. Ces derniers sillonnent les quartiers, villages et établissements scolaires, en travaillant avec tous ces acteurs dont les avis, plaintes et autres contributions sont prises en compte dans les activités du REAMORCE visant notamment le changement des comportements de leurs enfants. A cet égard, dans le PRONEC-REAMORCE, le secteur éducatif et la communauté parentale sont ciblés comme sujet d’accompagnement par la mise à disposition des curricula et des contenus adaptés à leur profil pour la refonte des comportements à leurs niveaux et la transmission des compétences en Education Civique, pour être des relais d’encadrement de la jeunesse dans leur environnement proches (maisons, familles, villages, quartiers, blocs, écoles et milieux professionnels). C’est dire que le MINJEC n’est qu’un Chef d’orchestre pour l’éducation civique qui est une affaire de tous.
Source : Cameroon Tribune