Sécurité alimentaire – L’arachide camerounaise en voie de disparition

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Face à une hausse vertigineuse des prix, à la raréfaction des semences saines, aux ravages des charançons et aux effets du changement climatique, les cultivateurs d’arachide du Cameroun, notamment dans le Mbam et Inoubou, sont au bord du découragement. Une crise silencieuse qui pourrait compromettre la sécurité alimentaire et les revenus de milliers de familles rurales.

À Bokito, à 145 km de Yaoundé, Jeannette Sita, 62 ans, peine à semer l’arachide dans son champ, pourtant labouré depuis des semaines. La raison : l’absence de semences viables. « Le prix a quintuplé et j’espérais une baisse. Mais il n’a fait qu’augmenter », confie-t-elle. Dépourvue de moyens, elle s’est résolue à acheter cinq kilogrammes d’une variété en provenance du Noun, dans l’Ouest, espérant sauver une partie de sa saison. Comme elle, de nombreux paysans du Mbam et Inoubou voient leur culture d’arachide compromise, non seulement par l’inflation, mais aussi par l’incapacité à conserver efficacement leurs propres semences. En cause : une attaque persistante de charançons, localement appelés « Came no go » en pidjin, littéralement « difficile à chasser ».

Charançons : le fléau silencieux des greniers

Depuis plus d’une décennie, ces insectes ravagent les réserves d’arachide dans les ménages, compromettant la survie de la graine entre deux saisons. Les producteurs, comme Sita, aspergent des fongicides, allument des feux sous les greniers, en vain. « J’ai perdu 90 % de mes 50 kg malgré deux traitements », dit-elle.

Le phénomène reste peu étudié, mais pour Maurine Kenne Yeffou Ngoula, ingénieure agronome, les causes sont multiples : « La déforestation, combinée à des températures élevées, favorise le développement des charançons. Ils pondent leurs œufs dans les gousses dès le champ. Une fois stockées, les larves se réveillent avec la chaleur et dévastent les stocks. » Les espèces les plus nuisibles, Caryedom serratus et Tribolium castaneum, se développent rapidement. Non seulement elles réduisent le volume de graines, mais elles contaminent aussi celles-ci avec des excréments et des toxines, les rendant potentiellement dangereuses pour la consommation humaine.

Changement climatique : un multiplicateur de risques

Le climat joue désormais un rôle central dans l’aggravation de la situation. Dans la région de Bokito, les températures atteignent des niveaux inédits. Ghislain Messina Eteme, délégué local du ministère de l’Agriculture, alerte : « Cette chaleur compromet la germination, réduit la formation des gousses et abaisse les rendements. » À ces stress thermiques s’ajoutent des maladies fongiques et bactériennes telles que la rosette, les tâches foliaires et la rouille. Les agriculteurs sont appelés à adopter des pratiques de lutte culturale, comme la rotation des cultures et la destruction des plants infectés, ainsi que des techniques post-récolte pour sécher et stocker les graines dans des conditions saines.

Des solutions… encore peu accessibles

Face à la menace, les méthodes préventives et curatives existent. Il est conseillé de privilégier les greniers secs, ventilés, et d’utiliser des bio-insectifuges à base de plantes, jugés plus sûrs pour la santé. Toutefois, les produits chimiques restent majoritairement utilisés, au risque d’intoxications, faute d’alternatives abordables et accessibles. Selon Kenne, « il est urgent d’implémenter des stratégies nationales de lutte, avec un accompagnement technique et matériel aux producteurs. L’arachide, pilier de la sécurité alimentaire et source de revenus, ne peut être abandonnée. »

Un patrimoine agricole à sauver

Au-delà de sa valeur nutritionnelle – graines grillées, sauces, huile – l’arachide incarne un héritage culturel fort. Dans le Mbam, la variété locale dite « arachide Bafia », fine et peu grasse, est prisée et constitue un véritable label identitaire. Mais si rien n’est fait, ce symbole pourrait s’effacer. La crise actuelle est un signal d’alarme. Il appelle à une mobilisation urgente des pouvoirs publics, chercheurs, et partenaires agricoles pour sauver une culture vitale du Cameroun rural.

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