Le 21 avril 2025, un serpent identifié par certains comme un cobra royal a été aperçu puis tué sur un chantier à Dschang, dans les montagnes de l’Ouest-Cameroun. Cette observation inattendue alimente depuis un débat passionné au sein de la communauté scientifique. S’agit-il vraiment de l’Ophiophagus hannah, réputé absent d’Afrique ? Ou plutôt d’une confusion avec une espèce locale comme le Naja melanoleuca ? Enquête au cœur d’une polémique qui relance la question de la biodiversité et des migrations animales.
C’est sur le chantier de construction de la falaise de Dschang, à plus de 200 kilomètres de Yaoundé, que le reptile a été observé par des ouvriers stupéfaits. Le serpent, de taille moyenne mais adoptant une posture agressive et caractéristique, aurait dressé son cou aplati tout en sifflant. Apeurés, les travailleurs l’ont abattu. Très vite, les images et vidéos circulant sur les réseaux sociaux ont fait naître une question dérangeante : un cobra royal dans l’Ouest-Cameroun ? Cette apparition dans une zone montagneuse pourtant jamais répertoriée comme habitat de l’espèce soulève l’inquiétude, mais surtout la curiosité des scientifiques.
Une communauté scientifique divisée
Face aux images de ce serpent atypique, les interprétations divergent. Pour certains biologistes, l’hypothèse d’un cobra royal est plausible. C’est le cas d’Arsène Dongmo, étudiant à l’Université de Yaoundé 1 : « Il existe plusieurs variantes du Ophiophagus hannah, et les conditions climatiques du Cameroun pourraient convenir à sa survie. Ce spécimen semble en être un jeune, ce qui expliquerait sa taille réduite. » Francis Xavier Manga, journaliste scientifique, abonde : « Ce n’est pas la première fois qu’on évoque sa présence au Cameroun. La circulation des espèces, les mutations génétiques et le changement climatique peuvent expliquer une migration. » À l’opposé, d’autres experts expriment de sérieux doutes. Dr Marina Kameni, herpétologue et directrice de Herp-Cameroun, réfute l’hypothèse du cobra royal : « Il pourrait s’agir d’un Naja melanoleuca, très présent au Cameroun et souvent confondu avec l’Ophiophagus hannah en raison de sa couleur et de sa posture. »
Ce qui distingue le cobra royal des autres cobras
Le Ophiophagus hannah appartient à la famille des Elapidés, comme les autres cobras, mais présente des particularités notables. D’après le Dr Luca Tringali, spécialiste italien reconnu, il peut atteindre jusqu’à 6 mètres, avec une moyenne de 3 à 4 mètres. Il se distingue également par un capuchon étroit, un sifflement à basse fréquence et des écailles occipitales absentes chez les autres cobras. Surtout, le cobra royal est le seul serpent au monde à se nourrir principalement d’autres serpents, y compris venimeux. Son comportement, sa morphologie et son aire géographique traditionnelle – Asie du Sud et du Sud-Est – rendent sa présence en Afrique intrigante. Mais selon Tringali, les Elapidés auraient migré depuis l’Eocène vers l’Afrique et l’Asie, ouvrant la porte à l’existence de lignées africaines oubliées ou mal identifiées.
Une question ouverte, entre biodiversité et enjeux de conservation
Si la présence d’un Ophiophagus hannah venait à être scientifiquement confirmée au Cameroun, les implications seraient multiples. Cela relancerait le débat sur les flux migratoires d’espèces, sur la mutation ou l’adaptation génétique, et sur les lacunes de la documentation herpétologique en Afrique centrale. En attendant une expertise génétique, le mystère demeure. L’incident sur la falaise de Dschang rappelle surtout l’urgence de mieux documenter et protéger la faune locale, dans un pays où le développement empiète de plus en plus sur les habitats naturels. Le cobra royal est-il désormais un résident des montagnes de l’Ouest-Cameroun, ou s’agit-il d’un leurre biologique ? Une chose est sûre : la science a encore beaucoup à découvrir sur les recoins sauvages de ce pays riche, mais encore trop méconnu.