Alors que les États-Unis conditionnent leur soutien au FMI et à la Banque mondiale à des réformes de recentrage sur leur mandat initial, l’Afrique semble en tirer un bénéfice immédiat. Mais derrière cette apparente manne financière se cachent des risques structurels : endettement, perte de souveraineté et dépendance à l’égard d’une aide parfois peu adaptée aux réalités locales.
À l’issue des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale tenues à Washington du 21 au 26 avril, l’administration américaine, tout en réaffirmant son soutien à ces institutions, a exigé un recentrage de leurs missions. Pour Scott Bessent, secrétaire au Trésor, le FMI doit délaisser ses incursions dans les enjeux sociaux et climatiques pour revenir à sa vocation première : la stabilité financière et la coopération monétaire. Quant à la Banque mondiale, elle doit s’atteler à la croissance économique des pays pauvres, via des prêts abordables et ciblés. Cette nouvelle orientation a été accueillie favorablement par plusieurs observateurs africains, notamment l’analyste camerounais Emmanuel Noubissie Ngankam, qui y voit une opportunité pour le continent de capter davantage de ressources financières, alors que l’Afrique abrite 39 des 78 pays éligibles aux ressources IDA (Association internationale de développement).
Des retombées financières immédiates pour l’Afrique
Le premier effet positif est l’achèvement de la reconstitution du fonds IDA, avec un montant record de 100 milliards de dollars. Cette enveloppe devrait permettre de soutenir les pays africains dans leurs efforts de développement via des dons et des prêts à très faible taux d’intérêt. Ensuite, le retour de la Banque mondiale dans le financement des énergies fossiles, notamment le gaz, représente une aubaine pour de nombreux pays africains qui disposent de vastes réserves énergétiques mais peinent à électrifier leur territoire. Enfin, la sortie progressive de la Chine du statut de « pays en développement » dans les critères de la Banque mondiale libérera potentiellement une part importante des ressources auparavant allouées à Pékin au profit d’autres pays, dont plusieurs en Afrique.
Un outil de développement… aux effets pervers
Mais derrière ces perspectives prometteuses, les financements extérieurs, notamment ceux du FMI et de la Banque mondiale, présentent aussi de nombreuses limites pour les économies africaines. L’histoire économique du continent regorge d’exemples d’endettements excessifs, provoqués par des prêts conditionnés à des réformes structurelles drastiques (programmes d’ajustement structurel dans les années 1980-90) qui ont parfois affaibli les États plutôt que de les renforcer. Le risque majeur demeure la dépendance financière. En concentrant les ressources vers certaines filières, comme les énergies fossiles, au détriment d’une transition énergétique durable, les pays africains peuvent voir leur marge de manœuvre stratégique se réduire. De plus, le conditionnement des prêts à des réformes institutionnelles ou à des plans d’austérité peut affaiblir les services publics, creuser les inégalités sociales et nourrir l’instabilité politique.
L’endettement : un danger toujours latent
Si les prêts de l’IDA sont en principe concessionnels, leur accumulation peut rapidement mener à des niveaux d’endettement critiques, surtout si les projets financés ne produisent pas les rendements escomptés. Le FMI lui-même alerte régulièrement sur les risques croissants de surendettement en Afrique subsaharienne. La Zambie, par exemple, a récemment dû faire face à un défaut de paiement sur sa dette extérieure, illustrant les limites du modèle actuel. De plus, en exigeant que les créanciers bilatéraux, notamment la Chine, s’impliquent davantage dans les négociations avec les pays débiteurs, les États-Unis cherchent à rééquilibrer les influences, mais sans nécessairement résoudre les causes profondes de la vulnérabilité financière des pays africains.
Vers une autonomie financière africaine ?
L’Afrique ne peut durablement asseoir son développement sur des ressources extérieures, aussi généreuses soient-elles. Le véritable enjeu réside dans la capacité des pays du continent à mobiliser leur propre épargne, à renforcer leur fiscalité intérieure, à promouvoir une gouvernance transparente et à bâtir un tissu économique local résilient. Les financements extérieurs doivent être des leviers de transformation, et non des béquilles permanentes. Pour cela, une plus grande implication des sociétés civiles africaines dans la définition des projets financés, une évaluation rigoureuse de leur impact et une coordination régionale renforcée sont nécessaires.
Entre opportunité et vigilance
La « nouvelle donne » imposée par les États-Unis au FMI et à la Banque mondiale pourrait, à court terme, offrir une bouffée d’oxygène à de nombreux pays africains. Mais elle ne doit pas occulter les limites structurelles des modèles de financement exogène. Le continent africain gagnerait à ne pas dépendre uniquement de la générosité conditionnée des institutions de Bretton Woods. L’autonomie économique et la souveraineté financière restent les véritables clefs d’un développement durable.