Innovation économique – La CAMWATER et l’eau en bouteille, une légitimité commerciale méconnue

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La commercialisation de l’eau en bouteille par CAMWATER a récemment suscité la surprise de nombreux Camerounais. Beaucoup s’interrogent sur la légitimité d’une entreprise publique à exercer des activités commerciales. Pourtant, cette initiative s’inscrit pleinement dans les réformes institutionnelles et économiques opérées dans le secteur de l’eau au Cameroun depuis près de deux décennies.

Contrairement à l’idée largement répandue selon laquelle une entreprise publique se limite à offrir des services gratuits, CAMWATER est une société à capital public dotée d’une mission commerciale claire. Le décret présidentiel n°2018/144 du 20 février 2018, qui restructure la Cameroon Water Utilities Corporation, lui confère la double mission de gestion du patrimoine public de l’eau et de l’exploitation du service de production, transport et distribution d’eau potable. Il lui permet également de réaliser toutes opérations commerciales et industrielles utiles à la réalisation de son objet social.

Ainsi, la mise sur le marché de l’eau en bouteille par CAMWATER ne constitue pas une dérive, mais bien une action conforme à sa vocation économique, destinée à renforcer sa viabilité financière tout en poursuivant sa mission de service public.

Historiquement, la gestion de l’eau potable au Cameroun était assurée par la Société Nationale des Eaux du Cameroun (SNEC), créée en 1967. Pendant près de 40 ans, cette entité publique détenait le monopole du secteur. Mais face à des résultats décevants — vétusté des infrastructures, pertes d’eau importantes, faible couverture en zones rurales — l’État camerounais a entamé une réforme profonde en 2005.

Cette réforme a abouti à la création de CAMWATER, chargée des fonctions patrimoniales, et de la Camerounaise des Eaux (CDE), exploitante privée du service. Inspiré de modèles africains et européens, ce dispositif visait à améliorer l’efficacité du secteur tout en attirant les investissements privés.

En 2018, une nouvelle réforme majeure a été introduite. Le partenariat avec la CDE ayant montré ses limites, le gouvernement a décidé de réintégrer toutes les fonctions au sein de CAMWATER. Cette réorganisation a conféré à cette dernière une plus grande autonomie opérationnelle, et surtout la possibilité d’engager des activités commerciales, comme la vente d’eau conditionnée.

Cette évolution répond à un impératif clair : assurer la pérennité du service public par des mécanismes de financement autonomes. Dans un contexte de pressions budgétaires et de besoins croissants en infrastructures, l’autofinancement devient un levier stratégique.

Les réactions hostiles à l’initiative de CAMWATER trahissent une confusion entre service public et gratuité. Pourtant, les entreprises publiques modernes — même dans des secteurs sensibles comme l’eau — sont appelées à conjuguer mission sociale et logique économique.

La législation camerounaise, alignée sur les orientations régionales de la CEMAC, distingue clairement entre les établissements publics à but non lucratif et les entreprises publiques à caractère industriel et commercial, comme CAMWATER. Cette dernière est donc pleinement fondée à mener des activités génératrices de revenus.

Plutôt qu’un détournement de sa mission, la commercialisation de l’eau en bouteille par CAMWATER illustre une adaptation pragmatique aux exigences contemporaines de gestion des biens publics. Elle témoigne aussi d’une volonté d’améliorer les services tout en assurant la durabilité financière du secteur. À condition d’être bien encadrées, de telles initiatives doivent être perçues comme des leviers d’innovation au service de l’intérêt général.

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