La circulaire du ministère des Marchés publics du 5 juin 2024, imposant la consignation des cautionnements auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDEC), suscite une levée de boucliers du patronat camerounais. Le Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam), par la voix de son président Célestin Tawamba, dénonce une réforme aux conséquences lourdes pour les PME et le système bancaire, et demande sa suspension à titre conservatoire.
Le ministère des Marchés publics a initié, à travers une circulaire signée le 5 juin 2024, une réforme majeure sur la gestion des cautionnements exigés dans les marchés publics. Désormais, ces derniers doivent être constitués à 100 % en numéraire auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDEC). Une disposition qui, selon le Gecam, pourrait fragiliser les établissements de crédit, exclure les petites et moyennes entreprises de la commande publique et enfreindre les textes communautaires en vigueur.
Le Gecam monte au créneau
Dans une correspondance adressée au ministre des Marchés publics, Célestin Tawamba, président du Gecam, dénonce cette mesure sur plusieurs plans. Il évoque une contradiction flagrante avec les articles 13 à 23 de l’Acte Uniforme OHADA sur le droit des sûretés. Selon cet acte, une caution ne s’exécute qu’après une mise en demeure restée infructueuse. Or, la circulaire introduit une exécution « à première demande », sans formalités préalables, et impose le dépôt préalable des montants garantis.
De plus, Tawamba souligne une contradiction avec le règlement COBAC relatif au traitement comptable des engagements. Le crédit par signature, un produit financier courant, se trouve remis en cause par cette nouvelle exigence de blocage intégral des fonds. Pour les PME, cette réforme pourrait sonner le glas de leur participation aux appels d’offres publics, faute de capacité financière à immobiliser les montants requis.
Un cadre normatif contesté
Autre point de discorde : le recours à une simple circulaire pour modifier substantiellement les règles encadrant les marchés publics. Le président du Gecam estime qu’un tel changement, aussi structurant, nécessite une réforme réglementaire en bonne et due forme, et non un acte administratif unilatéral.
La réponse du ministère : une conformité légale
En réaction, le ministère des Marchés publics rappelle que l’article 5 de la loi du 14 avril 2008 sur les dépôts et consignations classe les cautionnements publics parmi les consignations administratives. Par conséquent, leur versement à la CDEC s’inscrit dans un cadre légal existant. Il ajoute que l’Acte Uniforme OHADA sur le droit comptable définit aussi les cautionnements comme des fonds indisponibles jusqu’à la réalisation d’une condition suspensive, ce qui justifie le cantonnement des montants à la CDEC.
Lutte contre les dérives et protection des finances publiques
Au-delà du cadre légal, cette réforme s’inscrit dans un objectif de moralisation et de sécurisation du secteur. Selon Richard Evina Obam, directeur général de la CDEC, l’État a perdu environ 300 milliards de FCFA à cause de cautionnements fictifs ou non honorés. À cela s’ajoutent 200 milliards de FCFA en attente de recouvrement suite à des résiliations de marchés pour cause de défaillance. Le cumul de ces pertes explique la fermeté de l’administration.
Des experts en droit des marchés publics soutiennent que la réforme vise à mettre fin aux abus : auparavant, les cautions servaient plus de formalité que de réelle garantie. Désormais, avec leur consignation effective, l’État veut s’assurer de la disponibilité immédiate des fonds en cas de défaillance d’un prestataire.
Une mesure inspirée de pratiques internationales
Le ministère souligne que des pays comme la France, la Tunisie, la Côte d’Ivoire ou encore le Sénégal ont déjà mis en œuvre des réformes similaires. En imposant cette nouvelle procédure, le Cameroun entend aligner sa gouvernance financière sur les standards internationaux, et assurer une meilleure protection du Trésor public.
Vers une conciliation ou un bras de fer ?
Malgré les justifications du ministère, le Gecam maintient sa position et demande une suspension immédiate de la circulaire. Le débat met en lumière la complexité de concilier rigueur financière, conformité juridique et accessibilité de la commande publique. En toile de fond, une question centrale : comment réformer sans exclure les plus fragiles ? Les semaines à venir diront si l’État choisira l’apaisement ou la fermeté face au front patronal.