Énergie – Le barrage de Nachtigal atteint sa pleine capacité, mais qui paiera la facture ?

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Le barrage hydroélectrique de Nachtigal est désormais pleinement opérationnel avec une capacité de 420 MW injectée dans le réseau électrique camerounais. Cependant, cette avancée majeure s’accompagne d’une lourde obligation financière : une facture mensuelle de 10 milliards de FCFA à payer à Nachtigal Hydro Power Company (NHPC), qu’elle soit consommée ou non. Alors que le secteur de l’électricité traverse une crise de trésorerie persistante, le défi du règlement de cette facture s’annonce complexe.

Depuis le 18 mars 2025, le barrage de Nachtigal, construit dans la région du Centre, fonctionne à pleine capacité après l’entrée en service de sa septième et dernière turbine. D’une puissance installée de 420 MW, cet ouvrage hydroélectrique, fruit d’un investissement colossal de 786 milliards de FCFA, représente une avancée stratégique pour le secteur énergétique camerounais. Il devrait permettre d’augmenter de 30 % les capacités de production électrique du pays et de réduire la dépendance aux coûteuses centrales thermiques.

Cependant, cet exploit technique s’accompagne d’une exigence contractuelle majeure : NHPC doit percevoir 10 milliards de FCFA chaque mois pour la mise à disposition de l’énergie produite, et ce, indépendamment du niveau de consommation effective.

Un secteur électrique en crise de trésorerie

Le défi du paiement de cette facture mensuelle est d’autant plus préoccupant que le secteur de l’électricité camerounais traverse une crise financière profonde. Le principal distributeur, Eneo, contrôlé par le fonds britannique Actis, affiche des dettes colossales et peine à honorer ses engagements. Fin 2022, Eneo enregistrait un déficit de trésorerie de 113 milliards de FCFA et une dette globale de 700 milliards de FCFA, dont 350 milliards dus à ses fournisseurs.

L’État camerounais, souvent sollicité pour éponger les dettes des entités publiques envers Eneo, peine également à suivre le rythme des paiements. Résultat : plusieurs producteurs indépendants, tels que Globeleq (gestionnaire des centrales de Kribi et Dibamba), ont déjà suspendu leurs activités à cause d’impayés s’élevant à 137 milliards de FCFA. NHPC pourrait ainsi rapidement s’ajouter à la longue liste des créanciers d’Eneo, avec des répercussions sur la durabilité du projet Nachtigal.

Un réseau de transport d’électricité insuffisant

L’autre défi majeur auquel fait face le barrage de Nachtigal est l’évacuation de son énergie vers les centres de consommation. Actuellement, certaines lignes de transport, notamment celles partant du poste de transformation de Nyom vers Yaoundé, ne sont pas encore pleinement opérationnelles.

La ligne de transport construite par Bouygues, essentielle pour acheminer l’électricité vers la capitale, est encore en phase d’inspection avant sa rétrocession à la Société nationale de transport de l’électricité (Sonatrel). Cette procédure vise à détecter d’éventuels défauts structurels des pylônes, des conducteurs et des isolateurs. Tant que ces infrastructures ne seront pas totalement fonctionnelles, une partie de l’électricité produite par Nachtigal restera inutilisable.

Vers l’exportation de l’électricité camerounaise ?

Face aux risques de surplus d’énergie non consommée, une solution pourrait résider dans l’exportation de l’électricité vers les pays voisins. Le Cameroun mise notamment sur le Projet d’interconnexion des réseaux électriques avec le Tchad (Pirect), qui prévoit la fourniture de 100 MW d’électricité à partir de 2027.

Si ce projet se concrétise, Nachtigal pourrait devenir un levier clé de l’intégration énergétique en Afrique centrale, tout en permettant au Cameroun de rentabiliser ses investissements dans le secteur hydroélectrique.

Un avenir incertain pour le financement du secteur électrique

En attendant la concrétisation des projets d’exportation, la question du financement de l’électricité au Cameroun demeure une urgence. Entre l’endettement d’Eneo, les tensions de trésorerie de l’État et les infrastructures de transport encore incomplètes, la pleine exploitation du barrage de Nachtigal risque de se heurter à des difficultés majeures.

Le gouvernement et les acteurs du secteur devront impérativement trouver des solutions pour garantir le paiement des 10 milliards de FCFA mensuels dus à NHPC. Faute de quoi, cet ouvrage, pourtant essentiel pour le développement énergétique du pays, pourrait devenir un fardeau financier supplémentaire.

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