Le Cameroun mobilise diverses techniques pour financer son développement, mais les défis persistent. Hubert Otele Essomba, expert financier et directeur associé du cabinet G&M Finance, analyse les stratégies actuelles et propose des solutions innovantes, notamment le recours aux financements structurés et une meilleure gestion des PPP.
Le Cameroun s’appuie sur des mécanismes de financement traditionnels pour couvrir ses besoins budgétaires et infrastructurels. Parmi eux, les emprunts sur le marché sous-régional, les recettes fiscales et douanières, ainsi que les Partenariats Public-Privé (PPP). Pour l’exercice 2025, l’État prévoit de mobiliser 1 775 milliards de FCFA d’emprunts et de garantir 120 milliards de FCFA de dette extérieure. Malgré ces efforts, le ministre des Finances lui-même reconnaît que ces ressources restent insuffisantes face aux besoins du pays. « Nous pouvons et devons mieux faire », souligne Hubert Otele Essomba. Selon lui, la diversification des sources de financement est cruciale pour éviter une dépendance excessive aux bailleurs de fonds internationaux et assurer un meilleur contrôle sur les projets de développement.
L’épargne nationale, une alternative stratégique
Le gouvernement camerounais a récemment mis l’accent sur la mobilisation de l’épargne nationale pour financer son budget, notamment en élargissant l’accès au marché financier aux établissements de microfinance et aux plateformes de mobile money. Cette initiative, bien que positive, doit être accompagnée de mesures incitatives. « Que le Cameroun ait recours à l’épargne nationale est une bonne nouvelle, mais il faudra peut-être voter une loi d’amnistie pour sortir l’argent des plafonds et maquis », propose l’expert. Il souligne également que la digitalisation du processus permettra aux petits épargnants de participer au financement de l’économie. Toutefois, il met en garde contre certains risques, notamment le retard potentiel dans le remboursement des emprunts par l’État, qui pourrait fragiliser la confiance des investisseurs.
Grands projets : des obstacles persistants
La réalisation des infrastructures majeures, qu’il s’agisse de routes ou d’ouvrages énergétiques, est souvent marquée par des dépassements de coûts et des retards. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : Une gouvernance économique et financière défaillante ; Une mauvaise planification des projets ; Des études de faisabilité insuffisantes ; Une lenteur dans la passation des marchés ; Une corruption endémique. « Nos routes sont parmi les plus chères au monde, et cela plombe le développement et la croissance économique du pays », déplore Hubert Otele Essomba.
Les financements structurés, une solution à explorer
Pour optimiser le financement des infrastructures, l’expert recommande l’adoption de mécanismes plus sophistiqués, tels que les financements structurés. Cette approche comprend des outils comme la titrisation, les produits dérivés et les Special Purpose Vehicles (SPV), qui permettent d’attirer des investisseurs internationaux au-delà des banques traditionnelles. « Tous les jours, on se plaint que le marché domestique n’est pas assez profond pour lever la dette. C’est vrai, et l’exposition des banques sur les emprunts obligataires de l’État est trop élevée, ce qui crée un effet d’éviction pour les autres emprunteurs », explique-t-il. Les financements structurés offriraient donc une alternative viable pour diversifier les sources de financement et alléger la pression sur les institutions financières locales.
Les PPP : un outil mal exploité
Le Cameroun a déjà recours aux PPP, mais leur mise en œuvre est loin d’être optimale. Selon Hubert Otele Essomba, plusieurs lacunes doivent être corrigées : Un cadre juridique et réglementaire insuffisant, qui décourage les investisseurs ; Un manque de transparence dans l’attribution et la gestion des projets ; Une absence d’expertise et de suivi efficace des projets ; Des risques financiers mal anticipés, notamment en matière de change et de taux d’intérêt. « La finance est la même partout si elle est appliquée dans les règles de l’art », affirme-t-il, appelant à une meilleure structuration des PPP pour en maximiser les bénéfices.
Un séminaire pour renforcer les compétences
Afin d’apporter des solutions concrètes, le cabinet G&M Finance a organisé à Douala un séminaire sur les financements structurés. L’événement a rassemblé des représentants du ministère des Finances, de la Caisse des Dépôts et Consignations, de la COSUMAF et d’autres institutions financières. « Les besoins en formation exprimés lors de ce séminaire nous permettent aujourd’hui de mieux calibrer l’accompagnement que nous pouvons apporter aux États de la CEMAC », souligne l’expert. L’objectif est clair : aider les pays de la région à accéder à des financements innovants pour soutenir leur développement économique et lutter contre la pauvreté.
Vers une réforme en profondeur ?
Le Cameroun dispose d’un potentiel financier important, mais son exploitation reste limitée par des obstacles structurels. Pour Hubert Otele Essomba, la clé réside dans l’amélioration de la gouvernance financière, la diversification des sources de financement et l’optimisation des outils existants comme les PPP. Avec une approche mieux structurée, le pays pourrait non seulement accélérer la réalisation de ses infrastructures, mais aussi renforcer sa souveraineté économique en réduisant sa dépendance aux financements externes.