Face à la rareté des ressources et aux difficultés de financement des États d’Afrique centrale, Catherine Gerst, experte en stratégie financière et ancienne directrice générale de Moody’s France, met en avant la titrisation comme une solution efficace pour lever des fonds sur les marchés financiers. Dans un entretien exclusif, elle revient également sur les défis de la création d’une agence de notation panafricaine et l’évolution du paysage bancaire sur le continent.
Dans un contexte où l’accès au financement se complexifie pour les États d’Afrique centrale, Catherine Gerst préconise un recours accru à la titrisation. Ce mécanisme, bien connu des marchés financiers internationaux, consiste à transformer des créances financières en titres négociables, permettant ainsi de mobiliser des ressources auprès d’investisseurs institutionnels, de fonds de pension et de fonds souverains. « Plutôt que de vendre des actifs physiques, la titrisation permet d’utiliser les portefeuilles de créances des banques ou des entreprises pour obtenir des liquidités », explique-t-elle. Ce procédé, longtemps dominé par les banques, s’ouvre désormais aux marchés financiers, offrant une alternative au financement bancaire traditionnel.
Toutefois, la titrisation comporte des risques, notamment pour les investisseurs. « Une analyse rigoureuse des créances cédées et du cadre juridique est essentielle », prévient Catherine Gerst. C’est précisément pour répondre à ces enjeux que les agences de notation jouent un rôle clé dans l’évaluation de ces opérations.
La question de la notation financière reste un sujet de débat sur le continent. De nombreux États africains critiquent les agences de notation internationales, estimant qu’elles ne prennent pas en compte les spécificités locales. En réponse, l’Union africaine a annoncé la création d’une agence de notation panafricaine pour le second semestre de 2025. Si l’initiative suscite l’intérêt, Catherine Gerst souligne les nombreux défis à relever. « L’expérience a montré que créer une agence indépendante et reconnue est un parcours semé d’embûches. L’Europe a tenté pendant 40 ans d’établir une agence paneuropéenne, sans succès », rappelle-t-elle.
L’enjeu principal réside dans l’adhésion des investisseurs internationaux. « Pour être crédible, cette agence devra noter d’autres zones que l’Afrique, comme la dette des États-Unis, de la France ou de la Chine », précise-t-elle. Or, la contradiction réside dans la volonté de tenir compte des spécificités africaines tout en adoptant des standards internationaux. Un équilibre difficile à trouver.
Depuis quelques années, plusieurs banques européennes, notamment françaises et britanniques, se retirent progressivement du marché africain. Catherine Gerst attribue ce mouvement à un manque de rentabilité et à l’application des nouvelles régulations bancaires, notamment Bâle III. Cependant, ce retrait ouvre la voie à de nouveaux acteurs. « Si les banques européennes de crédit aux particuliers se retirent, on observe l’arrivée de banques américaines d’investissement, comme JP Morgan, qui viennent conseiller et structurer des opérations sur les marchés financiers », analyse-t-elle.
Par ailleurs, cette transformation laisse également place aux banques africaines et aux institutions de finance islamique. « Avec la consolidation bancaire en cours, il est probable que le marché se réorganise pour assurer une meilleure rentabilité », anticipe Catherine Gerst.
L’évolution du marché financier africain, avec une montée en puissance de la titrisation et l’arrivée de nouveaux acteurs, pourrait ainsi transformer durablement le financement des États et des entreprises sur le continent.