Barrages de Songloulou et Lagdo – Au bord de l’effondrement

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Instruite il y a 13 et 8 ans par le Chef de l’Etat camerounais Paul Biya, la réhabilitation de ces deux infrastructures hydroélectriques semble avoir été renvoyée aux calendes grecques. Au moment où le Gouvernement assure que la mise en service du barrage de Nachtigal joue un rôle clé dans la réduction du déficit énergétique, les barrages de Lagdo et Songloulou sont à l’ère de l’effondrement total.

Suite à un rapport du bureau d’études techniques français ISL Ingénierie de 2011 sur l’état sécuritaire du barrage de Lagdo. Le journal d’entreprise EDC News, édition de mai 2018 indiquait que, « La structure présente des signes de vieillissement qui se traduisent par la vétusté des équipements électromécaniques et hydromécaniques ». Mis en service dès 1982 avec pour objectifs d’alimenter les régions du septentrion en électricité, tout en permettant l’irrigation de 15 000 hectares de culture en aval. La centrale souffre de la vétusté de ses installations, ce qui à date n’a cessé de réduire drastiquement ses capacités opérationnelles ; le barrage ne fournissant à date, que moins de la moitié de sa puissance installée, soit 30 MW sur 72 MW installés.

Songloulou, un patriarche à l’abandon

Le barrage de Songloulou avait fait l’objet d’un premier diagnostic à la suite d’une descente effectuée le 26 février 2018. Selon le numéro 14 de EDC News qui fait état de la situation, « Les structures de béton de l’aménagement hydroélectrique de Song Loulou sont victimes de vieillissement prématuré par des réactions de gonflement interne … Ces gonflements du béton ont eu diverses conséquences. Entre autres… les manipulations difficiles, les blocages des vannes et batardeaux de l’évacuateur et de la prise d’eau, l’apparition de fissures sur les parements de béton mettant à nu les aciers d’armatures et la déformation des pièces fixes ». Principal aménagement hydroélectrique du Cameroun, avec une puissance installée de 384 MW, le barrage construit sur le fleuve Sanaga en 1976 et mis en service en 1981 n’arrive plus à fournir une production optimale.

L’alerte qui vient des experts

Mandaté par l’État du Cameroun, Electricity Development Corporation (EDC) avait reçu quitus pour réaliser un diagnostic détaillé des infrastructures en vue de leur réhabilitation ; préparer un dossier d’appel d’offres restreint et recruter un entrepreneur chargé de réaliser ces travaux sous sa maîtrise d’ouvrage (EDC).

Du diagnostic réalisé à Ladgo, l’entreprise publique révélait que, « Les turbines doivent être rénovées, afin de répondre aux dernières évolutions technologiques. Les transformateurs et les équipements de protection doivent être remplacés suite au dépassement de leur âge limite de fonctionnement. La centrale doit également être entièrement modernisée en ce qui concerne ses systèmes de surveillance, de contrôle commande et de sécurité ».

Dans les faits, la réhabilitation du barrage de Lagdo visait à le moderniser afin de hisser ce dernier aux standards internationaux. Pour le faire, la consistance des travaux à effectuer tournait autour de la rénovation de la turbine avec un remplacement de la roue et de certains équipements tournants permettant l’accroissement de la turbine de 19 MW jusqu’à 24 MW grâce au changement technologique et l’optimisation du point de fonctionnement de la turbine ; de la rénovation de l’alternateur notamment sa partie fixe (stator) et remplacer certains éléments de sa partie tournante (rotor) ; du remplacement des principaux équipements de protection (disjoncteur 110 kV, sectionneurs, parafoudres, etc.), les transformateurs de puissance, les câbles de puissance, les régulateurs de vitesse et de tension, les systèmes d’excitation ; de la rénovation des installations hydromécaniques et de manutention ; de la rénovation des installations mécaniques et électriques générales ; du remplacement en grande partie de l’instrumentation de la centrale (système de mesure) et du pupitre de commande ; de la rénovation des certains ouvrages de génie civil.

Alors que le projet devait être financé directement par le constructeur suivant un modèle de contrat EPCF (Enginnering, Procurement, Construction and Financing) pour une durée d’exécution de travaux de 12 à 24 mois, celui-ci est resté lettre morte jusqu’à ce jour. EDC ayant pris des dispositions pour préparer le dossier d’appels d’offres pour recruter un entrepreneur dédié à la cause.

Barrage de Lagdo, la cagnotte à 100 milliards de FCFA qui divise

Courant juillet 2020, la société allemande Voith, jusque -là seule candidate déclarée pour le contrat de réhabilitation du barrage de Lagdo doit faire face à la concurrence. En effet, son offre faite à l’Etat du Cameroun en février 2018 et constituée d’un apport en financements, de la réalisation des travaux et de l’extension des capacités de production du barrage de 72 à 80 MW doit désormais challenger trois autres propositions. Si l’on sait peu de ces autres propositions, dans les starting-blocks figurent l’américain General Electric et les chinois Sinohydro et China International Water and Electric Corp, l’entreprise qui a construit le barrage dans les années 1978-1984. Bien que tous les dossiers aient été transmis ; 5 ans plutard, rien ne filtre de ce qu’est devenu ces différentes propositions faites au Gouvernement camerounais.

Barrage de Songloulou, l’éternel bricole

À la lecture du rapport-diagnostic sur de l’état sécuritaire de l’infrastructure, les travaux de réhabilitation sont divisés en sept lots (génie civil, dévasement, travaux subaquatiques, étanchement par géomembrane, précontrainte, ponts roulants et hydromécanique). D’un coût estimatif de 110 millions d’euros (plus de 100 milliards de Fcfa), les appels d’offres pour les premiers lots de travaux devaient être lancés courant 2013. Au fil du temps, les lignes n’ont pas bougé, le coût initial ayant même connu des variations pour des travaux orientés uniquement sur du colmatage. Pour illustration, dans le cadre de l’avenant n°2 au contrat de concession du service public de l’électricité, signé en août 2015 avec l’Etat du Cameroun, Eneo Cameroon S.A s’engageait à réhabiliter le barrage à hauteur de 11 milliards Fcfa. Les travaux qui devaient s’étaler sur trois ans portaient davantage sur le colmatage des fissures « pour régler un problème d’esthétique », que de réhabilitation. D’ailleurs pour renforcer cette idée, l’ex-ministre de l’Eau et de l’Energie, Basile Atangana Kouna, au cours d’une visite de terrain en 2016, avait juré que « le barrage était stable et que ces fissures n’entament en rien la stabilité de l’ouvrage ».

Dans la même veine, Eneo Cameroun informait début octobre 2016, qu’elle avait démarré le programme triennal des travaux de réhabilitation de la centrale de Song Loulou (388 mégawatts) et que ceux-ci seraient achevés le 4 novembre 2016. À l’époque des faits, le directeur central en charge des activités techniques, Eugène Ngueha expliquait que, « Le Programme triennal est avant tout destiné à la sécurisation de l’ouvrage de Songloulou, compte tenu des dégradations constatées sur son génie civil, il était urgent d’intervenir pour éliminer le risque d’écroulement de l’ouvrage. Certes, il y a au passage des impacts sur le plan opérationnel, notamment pour ce qui est des manœuvres sur les vannes et batardeaux, mais il faut dire que sur le plan de la qualité de service, son impact sera peu visible ».

Outre les 11 milliards de Fcfa, Eugène Ngueha révélait que, l’entreprise avait réalisé des travaux additionnels pour un montant de 4,7 milliards de FCFA, afin de fiabiliser l’exploitation de cet ouvrage. « Ces travaux ont vocation à donner une nouvelle jeunesse à la centrale de Songloulou aujourd’hui âgée de 35 ans, de sorte qu’elle puisse encore servir pour 50 ans. Les travaux vont de la mise en place d’un système d’auscultation à la réparation et au traitement des fissures en passant par la réhabilitation de la vannerie et des systèmes de batardage … etc. », affirmait-il.

Des milliards investis au vent, ce malgré les conclusions des études menées par EDC, les travaux de réhabilitation des barrages de Songloulou et de Lagdo sont aujourd’hui en berne. Ces travaux qui devaient conduire à la remise à niveau des deux ouvrages, continuent de faire l’objet de nombreuses convoitises. Pendant ce temps, tout se meurt à Lagdo et Songloulou, donnant ainsi lieu à plus d’obscurité tant auprès des ménages camerounais que des entreprises du secteur industriel.

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