La Loi de Finances aligne les procédures de contrôle et de vérification des fonds dévolus à la CDEC aux procédures des impôts

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Le 23 décembre 2024, le Président de la République a promulgué la loi n°2024/013 du 23 décembre 2024 portant Loi de Finances de la République du Cameroun. Une disposition de cette loi, l’article quatre-vingt troisième, se démarque en ce qu’elle traite de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDEC) et confirme l’assimilation déjà consacrée des fonds qui lui sont destinés à des deniers publics.

Il sera remarqué au passage que c’est la deuxième fois que la CDEC bénéficie de l’attention directe du Législateur camerounais après la loi n°2008/003 du 14 avril 2008 régissant les dépôts et consignations. De même, c’est la énième fois que le Président de la République lui consacre sa souveraine signature (promulgation de la loi du 14 avril 2008 précitée, signature du décret n°2011/105 du 15 avril 2011 portant organisation et fonctionnement de la Caisse des Dépôts et Consignations, signature des décrets de nomination des dirigeants, sans compter ses directives infra-réglementaires), rappelant, s’il en était besoin, qu’il s’agit d’un établissement public hautement stratégique et souverain.

Une lecture littérale de cet article quatre-vingt troisième de la Loi de Finances de la République du Cameroun (I) doit être complétée par une lecture contextuelle (II) pour saisir la portée du message de l’Etat souverain du Cameroun.

La lecture littérale de l’article quatre-vingt troisième de la Loi de Finances

L’article quatre-vingt troisième de la loi de finances est intitulé « Dispositions générales relatives aux deniers publics destinés à la Caisse de Dépôts et Consignations (CDEC) ». Ce titre vient rappeler au moins deux choses : la première c’est que, comme le dispose l’article 36 du décret du 15 avril 2011 précitée, les fonds dévolus à la CDEC sont des deniers publics.  La deuxième clarification apportée par cette disposition permet de clore un potentiel débat et un motif dilatoire auquel penserait sans doute la corporation bancaire. Il serait en effet tentant, pour un défendeur dans le cadre d’une action pénale pour détournement des fonds publics par rétention, de soutenir que les fonds dévolus à la CDEC ne deviennent publics qu’une fois transférés à cette dernière. Il allait sans dire qu’une lecture combinée des textes organiques de la CDEC et du décret du Premier Ministre Chef du Gouvernement fixant notamment un délai butoir de transfert au 31 mai 2024, permet de conclure à un détournement fonds publics par rétention par la simple absence de transfert. Ce qui va sans dire allant toujours mieux en le disant, le Législateur vient le dire clairement en parlant des fonds publics « destinés » à la CDEC, ce qui ne laisse désormais aucune place à l’interprétation.

Quant au corps de la disposition, il comporte deux alinéas et se présente ainsi qu’il suit : « 1)Jusqu’à l’adoption des règles propres en la matière, les modalités de contrôle et de vérification des fonds et valeurs destinés à la Caisse de Dépôts et Consignations (CDEC) sont celles définies par les dispositions du Livre de Procédures Fiscales du Code Général des Impôts, sous réserve des dispositions particulières et spécifiques qui se rapportent à certains de ces fonds et valeurs ; 2)Un texte particulier du Ministre en charge des finances détermine, tant que de besoin, les modalités pratiques de mise en œuvre de la disposition visée à l’alinéa 1 ci-dessus ».

En restant sur la lecture littérale de cette disposition, le premier élément à relever est le caractère transitoire, voire provisoire de la disposition. Elle s’appliquera en effet « jusqu’à l’adoption des règles propres en la matière » En d’autres termes, il y a un vide qui doit être comblé par des règles spécifiques au contrôle et vérifications des fonds dévolus à la CDEC. En attendant que ce vide soit comblé par ces règles propres à prendre, les règles appliquées par l’Administration fiscale pour le contrôle et vérification auprès des contribuables vont s’appliquer.

S’agissant de l’objet même de la disposition, le Législateur se limite aux « modalités de contrôle et de vérification » et ne dit rien du recouvrement. Pour autant, il ne s’agit nullement d’un oubli, la CDEC étant bénéficiaire du privilège du Trésor, les modalités de recouvrement sont parfaitement définies par la loi n°2023/011 du 25 juillet 2023 régissant les garanties et le recouvrement des créances par les entités publiques bénéficiaires du privilège du trésor.

Il a été tenu compte de cette loi sur le privilège du trésor, non seulement pour laisser les modalités de recouvrement de côté, mais également pour éclairer l’interprétation et l’application générales de la disposition. Tel est le dessein de la loi quand il est fait état d’une réserve concernant « des dispositions particulières et spécifiques qui se rapportent à certains de ces fonds et valeurs ». Les dispositions de la loi précitées sur le privilège du trésor et certains textes spécifiques à la CDEC constituent ces « dispositions particulières et spécifiques » dont il faut tenir compte dans l’emprunt au Livre des Procédures Fiscales.

Du reste, l’application des règles issues du Livre des Procédures Fiscale ne vient a priori pas chambouler le dispositif mis en place par les textes propres à la CDEC et la loi sur le privilège du trésor. L’on se souvient que l’article 7 alinéa 2 du décret du Premier Ministre du 1er décembre 2023 disposait que « dans l’exécution de leur mission de vérification, il ne peut être opposé aux agents assermentés de la CDEC, le secret professionnel ».  Auparavant, l’article 26 alinéa 3 de la loi du 25 juillet 2023 sur le privilège du trésor avait rappelé que « dans l’exercice des mandats des porteurs de contrainte, ni le secret professionnel, ni le secret bancaire ne sont opposables aux entités publiques dans l’exercice de leurs pouvoirs d’investigation, aux fins du recouvrement des créances ». De cette même manière, le secret bancaire et le secret professionnel ne sont pas davantage opposables au contrôleur sous l’égide du Livre des Procédures Fiscales. Autrement dit, au moment où la CDEC va se déployer par l’intermédiaire de ses porteurs de contrainte pour contrôler les banques, ces dernières ne pourront se réfugier ni derrière le secret professionnel ni derrière le secret bancaire.

En tout été de cause, une précaution a été prise par le législateur pour permettre au Ministre des Finances d’intervenir par arrêté, si nécessaire, pour assurer la cohérence dans l’application de ces différents textes. C’est le sens de l’alinéa 2 « Un texte particulier du Ministre en charge des finances détermine, tant que de besoin, les modalités pratiques de mise en œuvre de la disposition visée à l’alinéa 1 ci-dessus ». En somme, l’intervention de la tutelle de la CDEC à ce titre reste une éventualité (« tant que de besoin »), si des difficultés venaient à se révéler du fait de cette combinaison entre les règles issues du Livre des Procédures Fiscales et la loi sur le privilège du trésor notamment.

Tel est le sens du nouvel article quatre-vingt troisième de la Loi de finance. Mais, la lecture littérale de cette disposition ne permet sans doute pas d’embrasser la portée réelle de l’intervention législative au regard du contexte qui prévaut et de l’actualité dont la CDEC fait l’objet. Dès lors, une lecture contextuelle ne serait pas de trop.

La lecture contextuelle de l’article quatre-vingt troisième de la Loi de Finances

La promulgation de la Loi de finances 2025 intervient deux semaines après la communication par certains organes communautaires d’un avant-projet de règlement CEMAC proposant que la CDEC soit considérée comme un établissement bancaire et soit soumise, de ce fait, à la COBAC et que les règles applicables aux banques lui soient appliquées mutatis mutandis. A ce stade, rien ne permet de dire si l’alignement des règles applicables aux contrôles et vérifications des fonds dévolus à la CDEC à celles des impôts est une réponse du Législateur camerounais aux démarches entreprises par certains organes communautaires vis-à-vis de la CDEC.

Mais, de fait, cet article quatre-vingt troisième de la Loi de Finances vient remettre une pièce dans la machine et rappelle que pour l’Etat du Cameroun, la CDEC reste un établissement public relevant de la souveraineté nationale. L’obstination de la BEAC-COBAC à ramener coûte que coûte la CDEC sous leur supervision ne pourra que déboucher sur des difficultés qui ne sont manifestement pas prises en compte par les autorités communautaires à la manœuvre.  Le Législateur camerounais aurait très bien pu dire que pour ses contrôles et vérifications, la CDEC applique les règles du droit commun (droit civil, droit OHADA), mais il a décidé que s’agissant des deniers publics, ce sont les règles issues du Livre des Procédures Fiscales du Code Général des Impôts qui s’appliqueront.

Après la correspondance de la Présidence de la République du 1er août 2024 défendant le caractère national et souverain du service public des dépôts et consignations, d’une certaine manière, le Cameroun s’est prononcé de nouveau de la manière la plus large. Faut-il le rappeler, cette Loi de Finances a été préparée et défendue par le Ministre des Finances (Autorité monétaire), votée tour à tour par l’Assemblée nationale et le Sénat, enfin promulguée par le Président de la République. Autrement dit, toutes les sphères du pouvoir de la République ont été impliquées.  Une disposition de cette loi rappelle que les fonds destinés à la CDEC sont des deniers publics et à partir de là, en toute logique, la COBAC aurait dû renoncer à son ambition de réguler les deniers publics ou alors, elle devrait commencer à étendre sa supervision au Trésor public camerounais pour plus de cohérence. Mais il reste que le projet de règlement CEMAC sus-évoqué assimile la CDEC aux banques.

Dès lors, se pose la question de savoir si cette assimilation de la CDEC à un établissement bancaire s’accompagnerait de l’abrogation de cet article quatre-vingt troisième de la Loi de Finances, de l’article 36 du décret du 15 avril 2011 octroyant le bénéfice du privilège du Trésor à la CDEC et assimilant les fonds à elle dévolus à des deniers publics et des autres dispositions pertinentes du droit camerounais en la matière.

Si la réponse est affirmative, ce qui était dénoncé sur l’atteinte aux prérogatives constitutionnelles du Président de la République en matière d’organisation des services publics et en matière de nomination aux emplois civils et militaires vaut pour tout l’ordonnancement juridique camerounais. La COBAC s’habilite clairement à abroger des dispositions législatives et réglementaires camerounais en se livrant à une interprétation très libre, voire créatrice, des textes communautaires.

En revanche, si la réponse est négative, l’«établissement bancaire » dénommé CDEC aurait un avantage par rapport aux autres établissements bancaires dont les fonds ne sont pas assimilés à des deniers publics, tout comme la créance de ces établissements ne bénéficie pas d’un privilège particulier, ces établissement n’appliquent pas des règles marquées du sceau de la puissance publique avec le Livre des Procédures Fiscales et la loi sur le privilège du trésor, ils ne comptent pas dans leurs effectifs des Huissiers assermentés du Trésor public, ne bénéficient pas de l’accompagnement de la force publique dans leurs opérations de contrôle et vérification, etc.

La COBAC voudrait, dans cette hypothèse, créer une situation de concurrence « déloyale » entre la « banque CDEC », et les autres banques. Pour illustrer l’incohérence de la situation qui va s’instaurer, la CDEC pourra aller contrôler les autres banques, accéder à toutes leurs données, leurs opérations et leur clientèle, sans que ces banques puissent opposer à la CDEC (qui serait une banque selon la COBAC-BEAC) le moindre secret. Comment peut-on imaginer par exemple qu’Afriland First Bank, accepte que des agents de la BICEC viennent accéder à toutes ses données sans restriction ? La COBAC-BEAC propose pourtant que la CDEC, revêtue de ses attributs de puissance publique, soit considérée comme un établissement de crédit.

Dans le même ordre d’idée, sauf si la COBAC arrive à faire abroger plusieurs pans de la législation camerounaise, le juge compétent dans la cadre du contentieux lié aux contrôles et vérifications sera principalement le juge administratif pour le CDEC et le juge judiciaire pour les autres banques. D’ailleurs, la faculté d’engager des contrôles et vérifications reste l’apanage de la seule CDEC ce qui, une fois encore, montre que ce serait faire fausse route que d’assimiler un établissements public national chargé d’un service public à un établissement de crédit soumis à un régulateur communautaire.

La même divergence s’observera à tous les niveaux et particulièrement aux lois applicables. Tandis que les autres banques obéiront aux règles de droit civil et aux normes édictées par la COBAC, la CDEC continuera de relever de la législation camerounaise relative au service public des dépôts et consignations, des normes spécifiques comme la disposition analysée de la Loi de Finances, ou les décrets du Président de la République évoqués.

Une telle différenciation à tous les niveaux est la preuve, s’il en était besoin, que l’effort conjoint de la BEAC et de la COBAC pour contrôler particulièrement la CDEC ne repose pas réellement sur le souci affiché d’harmonisation. La CDEC reste particulièrement visée, la CDC gabonaise ne semble rajoutée à la démarche que pour la forme. Du reste, l’injonction de suspendre le transfert des avoirs en déshérence ne concerne que la CDEC et les établissements de crédit camerounais et non la CDC Gabon et les établissements de crédit gabonais.

En définitive, l’assimilation du service public des dépôts et consignations aux opérations de banque en vue de les soumettre à la COBAC ne se ferait pas sans soulever de grosses difficultés juridiques et pratiques. Il est indispensable pour ce faire que le Cameroun accepte de voir abroger des pans entiers de sa législation et qu’en dehors de toute révision constitutionnelle, certaines prérogatives soient retirées aux plus hautes autorités. C’est à ce prix que la volonté de la COBAC pourra être satisfaite. Sinon, il reste la possibilité d’appliquer le modèle ouest-africain dans lequel il est expressément convenu que les caisses des dépôts ne relèvent pas du régulateur bancaire. Seules en relèvent, les filiales bancaires des caisses des dépôts.

De ce point de vue, pourquoi ne pas obtenir des Etats ou des caisses de dépôts un engagement ou une obligation de disposer d’une filiale bancaire ? Pourquoi vouloir coûte que coûte superviser un auxiliaire de justice national par un régulateur communautaire ? Vivement que cette disposition anodine de la loi de Finances du Cameroun ramène la COBAC-BEAC aux vraies urgences du secteur bancaire et au respect de la souveraineté de l’Etat camerounais.

Par Abdouraoufi Ibrahim,
Docteur en Droit,
Directeur des affaires juridiques de la CDEC

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